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Interview avec Princesse Daniel

Written by
Dean Moncel

Interview avec Princesse Daniel

Un article de
Dean Moncel

Précédemment Molixos, le rappeur lausannois commence à faire du bruit dans la scène hip hop suisse avec sa nouvelle sortie Décroissances sous le nom de Princesse Daniel, un nom qui porte à confusion dans ce milieu musical. Au vu de cette identité controversée toutefois avant-garde, je suis allé l’interviewer.

Princesse Daniel photographié par Maxime Genoud

Pour commencer, comment doit-on t’appeler ? Quel est ton pronom d'usage ?

Tu peux m’appeler Jo, le surnom par lequel mes amis m’appellent. Mon blaze est Princesse Daniel. Franchement, c’est égal pour mon pronom. En général, les gens m’appellent “il” mais je réponds à elle, je réponds à tout.

Pourquoi le nom Princesse Daniel ? Comment es-tu devenu Princesse Daniel ? Etais-tu conscient de ton choix ?

Princesse Daniel m’est venu en tête en 2017, je dirais. Sur le moment, j'étais conscient de ce que je faisais, quand je prenais un nom féminin et masculin dans le milieu rap. J'étais conscient que c'était un choix fort. A l’époque, tous ces mouvements de libération de paroles comme la grève des femmes étaient moins visibles, donc sur ces thèmes, j'étais pas conscient, je connaissais pas. Mais par les événements de ces derniers temps, et mon propre parcours artistique, je me suis renseigné et je découvre toutes les “catégories” qui existent pour définir le rapport au genre, et évidemment ça rejoint grave mon projet. 

Voici le contexte: mon collectif, qui s’appelle Nébuleuse, on était issu d’un rap très old school, très années 90s, du type boom bap. Je viens pas de là à la base, mais vers 18/19 ans, je me suis rapproché de la scène rap underground en Suisse Romande, qui reposait grave sur le old school. C’est un rap plus conservateur sur la forme et le fond. Il est revendicateur aussi (et ça je le retrouve dans Princesse Daniel). Plutôt masculin, très concurrentiel, sur la performance, très “prove your skills right now” et j’ai grave kiffé. Mais j’ai été confronté aux limites de ça, surtout vis-à-vis de mes convictions personnelles qui sont plus conviviales et alternatives, voire anarchistes.

L'idée de compétition dans le monde du hip hop commençait à me déplaire de plus en plus. Si tout le monde est le “best”, est-ce que je veux être le millième “best”?

Quand je me suis rapproché du rap au début, j’ai vu ça avec beaucoup d'émancipation. C'était l'opportunité de prendre parole de façon différente et c’est ce qui m’a plu en tant qu’auditeur. Et là, je me suis trouvé face à un plafond de verre: tu pouvais être alternatif et différent vis-à-vis de la société mais il y avait toujours beaucoup de codes. Et ça commençait à tourner en rond et à me gêner. C’est là que j’ai découvert l'idée du “care”, tout ce travail d’attention majoritairement féminin qui permet de maintenir le capitalisme, qui n’est pas du tout basé sur la compétition mais sur le don de soi, sur l'échange réciproque. C'était des valeurs que je voulais donner à mon rap, que j’avais dès le début mais au final n’existait pas tant que ça. A ce moment-là, j’utilisais un blaze de jeu vidéo, de guerrier, Molixos, un blaze qui tue. Mais du coup, j’avais moins envie de ça dans ma recherche artistique. J’avais plus envie de m’attribuer des codes et les manier à l'extrême pour devenir le meilleur de ces codes-là. J’avais envie de créer d’autres codes et d’interroger cette vibe “on est alternatif”.

Du coup, le nom Princesse Daniel, comment m’est-il venu? J’avais envie d’un prénom dans mon blaze. Je voulais le prénom Daniel, mon deuxième prénom, un nom assez neutre, peut-être même nul… c’est un peu ton tonton. J’avais aussi envie de mettre un truc avant comme un titre. Après, peut-être la sonorité du blaze Princesse Agnès, une rappeuse des années 90s que j’aimais beaucoup m’a inspiré. Et quand je me suis dit “Princesse Daniel”, je savais que c’est ça. Ca prenait des codes du rap; il y en a beaucoup de rappeurs avec le nom Prince, mais là, repris au féminin avec un prénom masculin/unisexe. Il y a aussi cette idée du “care”. Tu vois la Princesse, c’est paradoxal. C’est elle qui a le domaine et le pouvoir, mais elle doit toujours être sauvée, elle est pire impuissante et dépassée en vrai. Et ça me plaisait parce que moi-même, je me sentais dépassé par le monde en fait, au vu de ce que tu appelles “mon identité”, qui n’est pas celle d’un hustler hip hop old school. Je voulais questionner les gens sur ce qu’ils ont l’habitude de voir. 

Tu parles de codes présents dans le rap. Tu peux en parler plus ?

Ben, j’ai toujours aimé jouer avec ces codes de la virilité que j’ai toujours trouvé un peu ridicules… J’ai grandi surtout avec des femmes, ma mère, mes soeurs, et on a jamais ressenti entre nous une différence liée au sexe, que ce soit dans la musique, les jeux ou les émotions.  Quand j’ai voulu appartenir aux codes rap, je voulais entrer dans ce monde de concurrence et de “real og shit” et j’ai du mettre de côté cette partie de moi, plus douce et maniérée peut-être. Il fallait toujours s’imposer.

J’ai voulu sortir de ça; je voulais un rap de la suggestion. Par exemple, on appelle ça la “punchline”, comme un coup de poing. Moi, je voulais la “caresseline”, de la douceur.

Et à tort, la douceur est associée à la féminité. Moi, je suis doux ! Moi je suis gentil ! Par contre, mon rap est pas toujours gentil. Comme une femme n’est pas forcément douce et gentille non plus. J’avais envie d’incorporer ce que je comprenais de l'émancipation par la féminité dans le milieu rap. Aujourd’hui, la position de la femme a beaucoup à nous apprendre sur le monde dans lequel on vit. Ce que les femmes ont fait dans l’histoire jusqu’à maintenant, ça contient les réponses aux problèmes que l’on traverse aujourd’hui. Je voulais mettre la lumière sur les femmes en vérité. Parfois, j’ai l’impression que l’émancipation des femmes se revendique par la “masculinisation” de leur rôle et de toute la société, mais surement qu’on gagnerait beaucoup plus à “féminiser” le masculin.. Enfin c’est mon avis…

Comment vis-tu Princesse Daniel ? Qu’est-ce que cela fait d'être Princesse Daniel ?

J’aime grave faire chier. Le malaise et à la contradiction, c’est des choses qui ne sont plus tolérées dans le monde d’aujourd’hui. Le malaise, c’est quelque chose que les gens cherchent à évacuer à tout prix, alors que pour moi, c’est une chose qui est la plus révélatrice de quels sont les tabous. Il faut jouer dessus. Donc, au-delà de mon blaze de Princesse Daniel, je pense faire un rap très controversé. Sous Molixos, je faisais un rap très dogmatique dans la forme, pour que mon rap sonne le plus propre possible. J'étais très revendicateur, je faisais du rap conscient. Mais, j’ai trouvé que le rap conscient n’est pas la meilleure manière de conscientiser. Les gens te catégorisent direct et la forme me limitait trop par les codes. Du coup, je me dis que j’allais faire l’inverse, prendre une forme ultra contestataire mais sans le dire, en “baisant” ces codes. Un frère me dit, “toi, quand tu rappes, tu mets des vents”. Là où t’attends la bonne rime, je vais pas te la mettre, ou je vais la décaler sans qu'elle sonne bien. J’avais envie que l’auditeur ne soit pas toujours tranquille. Que des fois, il s'arrête, qu’il est pas sûr d’aimer ce qu’il entend. J’avais envie d'évoquer le questionnement par la prise de distance. Que les gens disent “attends, là, j'adhère pas du tout.” Et c’est ça que je trouve intéressant. Pourquoi tu adhères pas du tout? Pourtant, la production est bien, le schéma de rimes est cool, mes clips sont jolis… c’est original alors pourquoi? C’est là que c’est intéressant.

Au début, il y avait surtout de l'incompréhension. Ils cherchaient à être provocants, peut-être par le rejet mais je crois surtout pour comprendre. Au bout d’un moment, c'était des questionnement mais positifs, avec le mouvement de libération queer et d’un coup, je suis grave dans l'actualité. Ce qui est drôle c’est que ceux qui ne comprennent pas sont surtout des gars, mais les meufs trouvaient que ça m’allait trop bien. Et c’est vrai. Je me reconnais en tant que princesse. J’ai les épaules et le comportement. Les gens que je connais personnellement me soutiennent de ouf, que c’est cool, spécifique et très personnel. Ouais, j’ai reçu des insultes sur internet quand j’ai mis mon clip mais voilà, moi, ça me fait plaisir. Je veux pas susciter l'adhésion. Je veux susciter la réaction et le malaise parce que j’estime que c’est là qu’il y a des choses qui se disent et se comprennent.

En pensant déjà à mon prochain projet, j’aimerai devenir plus compétitif, mais plus dérangeant. Je m’inspire beaucoup de la dystopie, un monde qui fonctionne mais tu sens qu’il y a un truc qui joue pas. Et j’ai voulu faire ça dans mon rap.

Couverture de l'album Décroissances de Princesse Daniel par Pavlok

Penses-tu que ce soit plus simple ou difficile d'être Princesse Daniel en Suisse qu’ailleurs ?

Je pense que c’est plus facile d'être Princesse Daniel en Suisse, par rapport à plein d’endroits. Niveau rap, il y a peu de scène rap en Suisse, alors il y a peu de codes parce qu’il y a peu de poids de la tradition. Le fait que tout reste à faire en Suisse est peut-être un positif pour moi. Après,  en Suisse, beaucoup de gens ne comprennent pas vraiment. Ils pensent, par exemple, que je fais mon coming out... Ils comprennent pas quel est le “but” alors que je suis plus concerné par le voyage que par la destination. Ici les gens fonctionnent par les cases. Les autres sont saoulés quand on est pas dans une case. Il faut “choisir”, alors que je rejette ça toujours. Je lis beaucoup, aussi pour être ailleurs. Peut-être que le fait de ne pas être “déterminé” dans ce que je fais et ce que je montre pose parfois problème dans la compréhension que les gens peuvent avoir de mon délire, mais finalement les gens préfèrent lancer des rumeurs que parler en face donc j’en suis sans doute moins conscient.

Est-ce un pas politique ? Quel est l'impact de Princesse Daniel ? Quel impact aimerais-tu avoir ?

Déjà, pour moi, absolument tout est politique. Vraiment tout. Le choix de boisson, d’alimentation, de vêtements… on est dans un monde où l’argent dicte tout. La dépolitisation, même inconsciente, est politique. Comme choisir qui tu soutiens avec ton argent, c’est ton vrai bulletin de vote. C’est par le rap que j’ai abordé la question politique. J'écoutais beaucoup le rappeur Médine, taxé de rappeur conscient. Un gars qui fait du rap grave contestataire mais suggestif. C'était un rap anti-communautariste, engagé politiquement. Il a sorti un livre avec un géopolitologue (Pascal Boniface) qui traitait ce sujet, et il a eu des conférences à Science Po Paris. Là, j’ai découvert qu’il y avait des rappeurs qui pouvaient faire cela. Je veux pas jeter la pierre à ceux qui font des trucs soi disant apolitiques, pour de l’argent ou d’autres choses. Il faut bien vivre.

Pour moi, l’art est politique de toute façon. Même si c’est apolitique, c’est politiquement apolitique. Tu choisis de dépolitiser, ce qui est une action politique. Le politique c’est autant l’action que l’inaction. La remise en question est fondamentale dans l’art.

Après pour le rap, si c’est de la pure technique, de la pure “musicalité”, je me fais un peu chier (souvent ces arguments, c’est surtout pour masquer la futilité du propos). J’ai besoin dans la forme et dans le fond qu’ils prennent des risques. Pour moi, ça l’est politique et le fait de s’en rendre compte, c’est qu’est-ce que tu veux faire à partir de là. Donc moi, une fois ayant conscientisé ça, je voulais apporter un point de vue qui n'était pas représenté. Tant au niveau du rap, il n’y avait pas assez de ces thèmes-là, tant au niveau de ces thèmes, il n’y avait pas assez de rap. Et ces thèmes sont toutes les choses que j’aborde: politique ou pas, forme/fond, transgenre, écologique, anarchiste, anticapitaliste, esthétique, humoristique, comme tu veux, … je peux pas différencier ces thèmes, c’est un ensemble et chacun pioche ce qu’il veut.

L’art est fait pour être perçu. Tu le fais pour toi, pour te libérer sur pleins de choses, mais aussi pour les autres, ça va provoquer des choses sur les autres. Je crois aussi à la preuve par exemple. Si des femmes ou des personnes queer pourraient prendre la scène grâce à moi, bah j'espère de tout coeur que ça arrive. Je serais très content. Si ça arrive et qu’ils me disent que j’avais un rôle à jouer dedans, moi je pleure. C’est magnifique, je m’engage aussi pour ça. Je fais aussi un rap qui est basé sur le vent. Donc même si j’arrive à montrer aux gens que c’est pas grave si t’es pas parfait, que c’est pas grave si parfois tu fais des choses en ayant pas l’espoir d'être compris, juste parce qu’elles te font plaisir, si juste une personne arrive à capter ça en m’écoutant, ce serait incroyable. Mais pour moi, ce n’est pas un but. Ayant ça en tête, ça me suffit. Trop souvent, on se reconnaît trop sur les buts, alors que les façons de faire et les processus en valent tout autant et sont même plus révélateurs. Je sais pas ce que je veux comme impact sur l’art, mais ça dépend de l'interprétation que les gens ont de toute manière.

Je pense de toute façon que ce que je fais aura un impact. Ca peut être l’inverse de ce que j’ai souhaité mais ça ne m’appartient plus. Pour l’instant, Princesse Daniel est à petite échelle mais ça maintient beaucoup de gens. Peut-être que ça grandira sur une plus grande échelle. Je pense que ça a un impact par le fait que ça existe. J'espère qu’il y a des gens qui se questionnent là-dedans et ça me fait plaisir. Quand je reçois des gens qui me disent que ça les inspirent et que ça les a intéressé, ça me fait plaisir. Mais aussi, quand on m’insulte, ça me fait plaisir aussi. Je l’assume, j’ai un impact sur eux, ils voient que ça marche et puis voilà. L’impact ne m’appartient pas, mais je travaille comme si j’en avais un. Et si il y en a, alors c’est incroyable.

Merci à Princesse Daniel pour cet interview. Découvrez son clip de la chanson "Châteaux" ci-dessus, produite par Dratepictures. Ecoutez son nouvel album Décroissances disponibles sur toutes plateformes de streaming. Suivez son Instagram ici.

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